Dépression du péripartum : on peut mieux faire

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Publié le 18/06/2024
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Traiter la dépression en péripartum est toujours bénéfique, pour la mère comme pour l’enfant. En l’absence de prise en charge, outre le risque suicidaire pour la mère, il existe des conséquences non négligeables sur le développement cognitif et émotionnel de l’enfant.

Les psychotropes doivent être poursuivis durant la grossesse

Les psychotropes doivent être poursuivis durant la grossesse
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Mésestime de soi, irritabilité, crises de larmes, éventuelles idées suicidaires, troubles du sommeil, de l’appétit, asthénie, repli sur soi, rupture par rapport au fonctionnement antérieur, culpabilité, idée d’incapacité de bien s’occuper du bébé, phobies d’impulsion (peur de faire du mal au bébé), etc., sont autant de symptômes évocateurs d’une dépression périnatale. L’Inserm a montré dans son enquête nationale périnatale (ENP) d’avril 2024 que la première cause de mortalité du postpartum est le suicide (17 % des cas), en particulier au 2e et 3e trimestres du post-partum. « Cela peut être rattaché à des troubles psychiatriques (pas seulement la dépression). Le plus souvent, la mère se suicide seule avec pour pensées associées que l’enfant sera mieux sans elle, que les autres s’en occuperont mieux. Il s’agit souvent de suicides violents, par pendaison ou défenestration », indique la Dr Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre en périnatalité (Hospices civils de Lyon) et responsable de la nouvelle option de psychiatrie périnatale pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Systématiser le dépistage

Dans le dernier rapport Inserm de 2012-2015, 90 % de ces suicides étaient évitables. Ils le sont encore à 79 % en 2024. L’outil recommandé pour le dépistage de la dépression est le questionnaire EPDS (dix items), en anténatal et en postnatal. Dans l’ENP, menée sur l’ensemble des maternités françaises en 2021 en pleine période Covid (où les pères n’étaient pas toujours admis en maternité), 16,7 % des femmes avaient un seuil à l’EPDS ≥ 13 (dépression sévère) et 29 % un seuil > 10 (dépression modérée) deux mois après l’accouchement. Des chiffres impressionnants !

« La HAS recommande le recours à l’EPDS en prénatal (au moins au 3e trimestre), à la naissance et deux mois après l’accouchement. Cependant, l’expérience montre que, dans les suites immédiates de l’accouchement, le questionnaire reflète surtout le vécu de l’accouchement, ce qui peut biaiser les résultats. Par ailleurs, il faut noter que certaines femmes n’ont aucun facteur de risque, ni signe, pendant leur grossesse et vont cependant décompenser à distance de l’accouchement : 10 à 20 % des accouchées font une dépression dans l’année qui suit », prévient la Dr Viaux-Savelon. D’où l’importance de « rester vigilant pendant l’année complète du post-partum ».

Il faut rester vigilant durant toute l’année du post-partum

Dr Sylvie Viaux-Savelon

A contrario, certaines situations sont d’emblée à haut risque : lorsqu’il existe une dépression anténatale, le risque de dépression postnatale est de 50 %. De même, en cas de dépression majeure avant la grossesse, en rémission grâce aux antidépresseurs, le risque de récidive est de 50 % en cas d’arrêt des psychotropes, raison pour laquelle il ne faut surtout pas les arrêter lors de la grossesse. Or encore trop de futures mères le font spontanément, par peur des conséquences sur l’enfant à naître.

Quelle prise en charge ?

La première prise en charge de la dépression du péripartum c’est de la repérer, ensuite de rassurer – « cela se traite ! » – puis d’orienter vers la psychiatrie périnatale. Il s’agit de travailler en soins conjoints parent-enfant sur l’investissement de la grossesse en prénatal puis, après, sur le lien parent-enfant, sur le sentiment d’incapacité à s’occuper de l’enfant lorsqu’il est présent, etc. Cela peut prendre la forme de séances de psychothérapie pour travailler sur les aspects relationnels avec le bébé, d’une prise en charge en psychomotricité pour aider au portage… En fonction des problématiques, les soins sont gradués et peuvent relever de l’ambulatoire, d’une unité mobile, d’un hôpital de jour ou d’une unité mère-bébé à temps plein.

L’intervention de la PMI et la mise en place d’une technicienne de l’intervention sociale et familiale (TISF) sont des aides précieuses pour soutenir la mère à domicile. Si elle n’est pas en état de s’occuper de son bébé, une hospitalisation en psychiatrie adulte peut être envisagée (parfois même en prénatal), sans négliger la prise en charge de l’enfant et du conjoint.

Enfin, il ne faut pas redouter un traitement antidépresseur quand il est nécessaire. « Il existe des antidépresseurs compatibles avec la grossesse et l’allaitement, en particulier la sertraline, intéressante aussi sur les troubles anxieux, ce qui en fait la molécule la plus indiquée. Hormis la nécessité d’une surveillance de la tension artérielle, cet antidépresseur est bien toléré. Il est surtout très efficace, avec un effet visible dès deux à trois semaines. Il est parfois nécessaire d’augmenter les doses au 3e trimestre, en raison d’une biodisponibilité diminuée. Dans 30 % des cas, un syndrome d’imprégnation minime est observé chez le nouveau-né, source d’irritabilité, de somnolence pendant 48 à 72 heures, nécessitant uniquement du nursing (peau à peau, etc.). L’antidépresseur est à poursuivre au moins six mois après l’accouchement pour éviter la récidive », indique la Dr Viaux-Savelon.

Entretien avec la Dr Sylvie Viaux-Savelon (Hospices civils de Lyon)

Les populations à risque

Les facteurs de risque de dépression périnatale sont des antécédents psychiatriques, des abus et/ou de la maltraitance dans l’enfance, les âges extrêmes de la grossesse, des difficultés conjugales, une grossesse non désirée, les précarités socio-économiques, l’isolement, la barrière de la langue, la primiparité, la découverte d’une malformation pendant la grossesse, une césarienne en urgence et la prématurité. Un antécédent de dépression du post-partum augmente les risques de récidive lors d’une nouvelle grossesse. La dépression périnatale laisse également une trace traumatique pour la mère et une grande culpabilité « de ne pas avoir été en état de s’occuper de son enfant ».

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du Médecin