À chacun ses dépistages

Les clefs pour une décision partagée

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Publié le 02/10/2020
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Les médecins généralistes sont au cœur des stratégies de dépistage. Un rôle délicat à remplir face à un patient de plus en plus acteur voire auteur des décisions qui le concerne. Comment y faire face ? Éléments de réponse.
La France a été le premier pays à reconnaitre le droit des patients à prendre eux-mêmes les décisions concernant leur santé

La France a été le premier pays à reconnaitre le droit des patients à prendre eux-mêmes les décisions concernant leur santé
Crédit photo : phanie

Si l'air du temps est au « care » et à la prévention, comment aborder la question des dépistages avec son patient ? Comment construire une décision informée et partagée ? D'autant que tous les tests ne sont pas aussi fiables scientifiquement ? Ces questions étaient au cœur d'une session plénière du congrès.

Les dépistages sont un baromètre de la relation médecin-patient. Certes, la médecine paternaliste a vécu. La France est même le premier pays à avoir inscrit dans la loi du 4 mars 2002 le droit des patients à prendre eux-mêmes les décisions concernant leur santé, avec le professionnel de santé. « Mais nous sommes aussi le pays où les patients se sentent les moins impliqués dans les décisions » souligne Jean-François Thébaud, vice-président de la Fédération française des diabétiques, cardiologue. Un patient sur quatre souhaiterait l'être davantage, affirme-t-il. En outre, une grande divergence de perception existe entre le médecin et le patient. Selon l'étude Entred de 2011 conduite auprès de 2000 patients diabétiques, les médecins considèrent que la décision est partagée dans plus de 80 % des cas, tandis que les patients évaluent cette proportion à seulement 40 % !

Tableau EviPrev

Pour que la décision partagée ne soit pas qu'un concept, des outils très concrets existent. Comme le tableau Eviprev, conçu par une association de cinq centres académiques suisses. Reprenant les recommandations internationales, ce tableau donne une vue d’ensemble des interventions de prévention recommandées chez l’adulte, selon l’âge, le sexe et certains facteurs de risque. Des couleurs différentes indiquent le niveau de recommandation (fortement recommandé, recommandé, recommandé de façon individualisée, et pas recommandé chez les asymptomatiques). « Cet outil peut être le support d'un dialogue avec les patients, c'est l'occasion d'évoquer les différents dépistages et de prodiguer des conseils, fait valoir son concepteur Jacques Cornuz, professeur de médecine générale à Lausanne et directeur d'Unisanté. Il s'intègre dans une dynamique de décision partagée : l'objectif est de présenter les options, et de décider ensemble de faire ou non le dépistage. »

Une discussion en cinq étapes

rLe Pr Éric Drahi, du Collège de la médecine générale, propose cinq temps de discussion pour construire une décision. Il s'agit d'abord de comprendre le vécu et les attentes du patient, puis de construire un partenariat (en disant combien la décision est difficile, en exprimant qu'on a compris le patient…). Puis il faut informer des données actuelles de la science y compris des incertitudes. « Nous devons anticiper les questions que les patients n'osent pas poser », encourage le généraliste. Il invite à trouver le bon équilibre au sujet des limites de la connaissance, qui doivent être évoquées sans pour autant faire perdre confiance aux patients. « Elles sont inhérentes à la connaissance, et non à l'incompétence du médecin, comme on le voit pour le Covid-19 », commente-t-il.

« Les patients comprennent que le monde n'est pas noir ou blanc, que des tumeurs malines peuvent ne pas s'exprimer », dit en écho le Pr Cornuz, évoquant le dépistage du cancer de la prostate.

La décision doit être clairement exposée en tenant compte des preuves cliniques, scientifiques, et des valeurs des patients. Le médecin doit enfin s'assurer que le patient a bien compris, notamment en lui demandant de faire lui-même sa synthèse.

Prendre le temps

« Il est important d'évoquer l'ensemble du parcours du dépistage, et notamment, que faire après les résultats », suggère aussi le Pr Cornuz.

Les intervenants insistent sur l'importance de prendre du temps dans la relation, en particulier pour comprendre les valeurs du patient, notamment lorsqu'il émet des réticences qui vont à l'encontre de ce que pense le médecin. « Un test de dépistage n'est jamais urgent, l'important est que la discussion ait lieu. Surtout lorsqu'on n'est pas sûr du degré de validité scientifique, déclare Jean-François Thébaut. C'est le patient qui prend le risque, pas le médecin ! »

Sans oublier enfin qu'une minorité de patients ne souhaite pas être dans la décision partagée. « Beaucoup de patients veulent voir la carte routière, y compris les routes alternatives, mais sans forcément vouloir prendre le volant », conclut le Pr Cornuz.

Exergue : Un test de dépistage n'est jamais urgent, l'important est que la discussion ait lieu

Session plénière « Tous les dépistages en médecine générale ? Vraiment tous ? »

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin