DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
L’HÔPITAL n°2 de Suzhou est jumelé avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Faut-il s’attendre à une reproduction de l’hôpital européen Georges Pompidou ? Pour le savoir, il faut tester le TGV chinois, trente minutes montre en main depuis Shanghai. À l’arrivée, la ville, surnommée la petite Venise de Chine, déroute. Ni ponts ni canaux aux abords de la gare, mais une forêt de grues et des chantiers à perte de vue. McDo et KFC à tous les coins de rue, une nuée de voitures sur le bitume. Suzhou, capitale de la soie, siège d’entreprises étrangères comme l’Oréal et Acer, s’enorgueillit d’être une ville prospère. Et moderne, à l’image de son hôpital n°2.
L’établissement a fière allure, avec ses édifices vitrés et son parking débordant de grosses cylindrées. Le bâtiment principal se repère au drapeau chinois qui, fièrement, flotte au vent. L’accueil est plus vaste qu’un hall de gare. Au mur, le trombinoscope de tout le staff. En Chine, on choisit son médecin d’après sa réputation et... sa photo. Au troisième étage, le Pr Liu Lijun consulte depuis l’aurore. Le temps d’une courte pause, il raconte l’histoire incroyable de son service. « En 1995, il n’y avait pas de réanimation dans cet hôpital, dit-il. À l’époque, j’étais cardiologue. Je suis parti faire un stage de deux ans en France, j’y ai appris le métier, et à mon retour, j’ai ouvert le service de réanimation. » Avant 1995, les patients nécessitant une réanimation étaient disséminés à tous les étages, et traités à coup de médicaments. Les intubations étaient rares. Tout a changé depuis. La révolution. « Nous avons fait un sacré bond en avant ! », se réjouit le Pr Liu. « Les soins dispensés sont exactement les mêmes qu’en France. Nous sommes à égalité », constate Charlotte, une interne strasbourgeoise en stage d’été à l’hôpital de Suzhou. La lutte contre les infections nosocomiales est entrée dans les mœurs. « Il y a quelques années, les sondes urinaires étaient utilisées plusieurs fois, expose le Pr Liu. Maintenant, tout le matériel est à usage unique. »
Quelques signes cependant ne trompent pas : l’hôpital est bel et bien chinois. La nuit, les familles dorment sur place. Dans les couloirs, dans les chambres. Certains amènent un siège, un matelas, un réchaud. La pratique, bien qu’interdite, est tolérée. « Les familles veulent s’assurer que l’état des patients ne se dégrade pas », explique le chef de la réa. L’anecdote illustre les tensions entre patients et médecins chinois. « Les gens se plaignent pour tout, confirme le vice-directeur de l’hôpital, Wu Haorong. La peur de l’erreur tenaille le corps médical. » Le tableau mural dans chaque service, listant le nom des patients et leurs pathologies, étonne Charlotte, l’interne française : « Chacun sait qui a quoi, il n’y a pas vraiment d’intimité. »
Deux passages en caisse.
La longueur de la file d’attente sur le trottoir, dès 6h30 du matin, rappelle aussi que l’on est en Chine. Le patient passe d’abord à la caisse. Étrange scène où l’on voit les malades, pour certains appuyés sur des béquilles de fortune, tendre une liasse de billets à une secrétaire, chargée d’en vérifier le poids à l’aide d’une machine. Si le compte y est, le malade peut accéder aux étages. À sa sortie, il refait la queue pour récupérer ses médicaments. Après avoir repayé. « Vous vivez plus longtemps si vous êtes plus riche, constate le Pr Liu. Les médicaments anti cancéreux sont trop chers pour beaucoup de Chinois. » Une seule journée d’antibiotiques coûte environ 700 yuans (76 euros).
Les urgences, elles, pourraient servir de décor pour une série américaine. Des box spacieux, propres, bien équipés. La salle de perfusion offre une vision plus surprenante. L’on y vient en consultation externe pour recevoir une injection. Les patients sont alités côte à côte, par dizaines, le goutte-à-goutte à leurs pieds. Sur les vingt services de l’hôpital, un seul est consacré à la médecine traditionnelle chinoise. « Notre hôpital est occidental, pas oriental », précise le Pr Liu. Reléguée au second plan, « la MTC » est prescrite pour soulager des douleurs, rééquilibrer les énergies. Pas pour soigner à proprement parler. Un jeune homme a le visage criblé d’aiguilles d’acupuncture. « Un virus a infecté un nerf facial, il ne peut plus fermer l’œil droit. Avec cette séance, cela va aller mieux », précise Wang Ying, cadre infirmière. Sur un lit en bois, un vieillard paralysé à la suite d’un AVC subit le même traitement sur le corps entier, tandis qu’une femme se voit appliquer des ventouses sur ses fesses endolories. La pharmacie traditionnelle, elle, tourne à plein régime. Une armée de petites mains prépare de savants mélanges à base de plantes comme le da huang, qui accélère le transit, ou le mang xiao, placé dans un sac posé à même le ventre en cas de pancréatite aiguë, afin de réduire les œdèmes. « Il n’y a pas de preuve scientifique évidente concernant l’efficacité des médicaments traditionnels, mais les jeunes fonctionnaires fatigués par trop de stress en raffolent pour fortifier leur organisme », glisse Liu Lijun dans un sourire.
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