DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
PEU DE PAYS ont vu leur espérance de vie passer de 45 ans à 73 ans en seulement 40 ans. Pratiquer la médecine en Chine pourrait être source de fierté. Pourtant, le métier ne fait plus recette. À tel point que la moitié des médecins formés n’exerce plus.
Le Pr Zheng Minhua, en charge de la formation des résidents à l’hôpital Ruijin, à Shanghai, ne le sait que trop. La violence y serait pour quelque chose. « Certains patients sont très agressifs physiquement. Parfois ils cassent tout, alors nous appelons la police. » Les médecins en Chine ne se sentent pas considérés. « Trop de pression, trop de travail, pour gagner trop peu », résume le chirurgien.
L’hôpital Ruijin empoche 2 milliards de yuans de recettes par an (228 millions d’euros), dont 60 % versés directement par les patients. Malheur à ceux qui n’ont pas les moyens. « S’ils n’arrivent pas à payer, on ne leur donne pas de médicament, et on ne se sert pas des instruments », énonce froidement le Pr Zheng. Vu de France, le propos peut choquer. En Chine, simple routine. Ce sont moins les refus de soins qui entachent l’image du corps médical, que les fameuses « enveloppes rouges ». Impossible d’évaluer l’ampleur des dessous-de-table, sujet tabou par excellence. Une source diplomatique indique que certains médecins adressent leurs patients vers de fausses pharmacies spécialisées dans la contrefaçon, en toute connaissance de cause, afin de toucher un bakchich. Des centaines de milliers de doses de faux anticancéreux circuleraient en Chine, vendues devant les hôpitaux, dans des poches portant le nom de laboratoires internationaux.
Les vocations demeurent malgré ce sombre tableau. Chantal, étudiante à Ruijin, fait actuellement un stage aux Hospices civils de Strasbourg. À son retour en Chine, elle ne se voit pas forcément exercer dans un hôpital sophistiqué de Shanghai. « Pourquoi pas aller travailler dans une autre région de Chine ? Si les conditions sont bonnes, j’y suis prête », dit-elle. Son tuteur à Ruijin la prévient : la jeune femme devra apprendre à gérer la peur du procès. « Les avocats veulent gagner de l’argent sur le dos des médecins, déclare le Pr Zheng. Nous faisons tout signer, même pour une piqûre, afin de nous protéger. »
Face au risque pénal, les médecins chinois sont d’une prudence extrême. Certaines erreurs sont passibles de prison, voire de peine de mort. Le Pr Wu Haorong centralise les plaintes en chirurgie à l’hôpital n°2 de Suzhou (province du Jiangsu). Une vingtaine a donné lieu à une indemnisation l’an passé, pour un montant total de 380 000 yuans (43 000 euros) à la charge de l’hôpital. Le médecin paye directement de sa poche s’il n’a pas respecté le protocole. L’on comprend mieux pourquoi certains patients sont éconduits : « Avant l’opération, si le patient ou sa famille a un espoir de guérison trop haut, on le transfère vers un autre hôpital », déclare le Pr Wu.
Mauvais climat.
Le Dr Liu Lijun, réanimateur en chef de l’hôpital n°2 de Suzhou, parle de son métier avec passion. Ce qui ne l’a pas empêché de déconseiller à sa fille de faire médecine. « Par chance, elle est enseignante, glisse-t-il dans un sourire. À l’hôpital, le climat n’est pas bon. » Et le Dr Liu d’évoquer une liste de griefs longue comme un rouleau de calligraphie. Le stress, le travail ininterrompu, la peur du sinistre, les reproches des malades, et le salaire, si dérisoire au regard des responsabilités endossées (70 000 yuans par an, soit 8 000 euros). « Le métier est trop dur, résume le Dr Liu. En Chine, chacun rêve que son enfant devienne fonctionnaire ! C’est la promesse d’un poste fixe, avec du pouvoir, de l’argent, et moins de stress. » Liu Lijun travaille « tout le temps ». Les loisirs ? Ping-pong et karaoké, occasionnellement. Les vacances ? Un presque gros mot. « J’ai droit à quatre semaines par an mais je ne les pose pas car le travail est ma préoccupation principale. Ça, c’est le capitalisme! » Prodigue, le Dr Liu n’exclut pas de le devenir avec son staff qui accuse des signes de fatigue : « Dans deux ou trois ans, je vais libérer mes praticiens hospitaliers deux ou trois semaines pour qu’ils soient d’une humeur correcte. »
Wang Ying, cadre infirmière, assiste à la conversation. Elle non plus ne s’accorde pas de vacances, et s’en explique : « Nous, les Chinois, préférons dépenser notre argent pour les études et les loisirs de nos enfants. Ma fille fait du piano, de la peinture. Le loyer aussi coûte très cher : 60 000 yuans (6 800 euros) en moyenne à Suzhou. Une bonne voiture coûte 100 000 yuans (11 400 euros). »
L’organisation du travail à la française a vivement étonné le Dr Liu lors de ses deux années de stage dans quatre CHU de l’Hexagone. « En France, quand un médecin est en vacance, le lit est fermé, a-t-il constaté. Ce qui peut conduire à des transferts en hélicoptère. Chez nous c’est à la fois impossible et incompréhensible ! En Chine, on rajoute des lits partout. L’État verse peu d’argent aux hôpitaux : c’est donc à nous, médecins, de recruter des patients pour financer l’hôpital. »
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