LE QUOTIDIEN – Vous avez visité plusieurs hôpitaux chinois en mai dernier. Qu’est-ce qui vous a le plus frappée ?
ROSELYNE BACHELOT – Il y a eu plusieurs moments forts, notamment la visite de l’hôpital de Ruijin, situé dans l’ancienne concession française de Shanghai. Cela a été un choc de voir des étudiants chinois suivre un cours de chirurgie orthopédique en français. D’une façon générale, en Chine, il faut oublier tous ses repères. Prenons l’exemple de l’hôpital privé de Yanda, en périphérie de Pékin. Un choc culturel à l’état pur ! Le financeur est un milliardaire, un tycoon chinois. L’environnement est surréaliste, avec tours gigantesques, jardins et fontaines. Je me suis dit : « On est dans un autre monde ». Il faut être capable d’affronter la réalité de ce monde, dont on se dit, en voyant le Bund à Shanghai, que c’est là que se fait le développement économique de la planète. J’ai eu le même sentiment en visitant l’Exposition universelle. Les superbes pavillons de la France et de la Chine portent deux visions très différentes. Le pavillon français, avec ses vieilles voitures, ses images du cinéma des années 1950, ses tableaux du XIXe siècle, paraît nostalgique. Comme si le passé était mieux que le présent. La Chine expose aussi fièrement son passé, mais elle s’en sert de tremplin pour bâtir l’avenir. J’ai trouvé cette journée à l’Expo très éclairante, non par ce qu’elle montrait factuellement, mais par ce qu’elle sous-entendait de nos ambitions politiques respectives. La Chine vit une mutation économique et sociale insensée. En allant là-bas, certains débats franco-français, comme celui que nous venons de vivre sur les retraites, apparaissent complètement décalés. Et l’on se demande tout à coup si l’on réalise bien ce qui est en train de taper à nos portes.
La France a-t-elle une carte à jouer en Chine dans le champ de la santé ?
La Chine exprime un fort besoin d’ouverture dans le secteur de la santé et la France doit y jouer un rôle compte tenu de son expertise dans ce domaine essentiel. Il y a de la place pour tout le monde dans cet immense pays. La France est petite par la taille, mais elle a des savoir-faire immenses et reconnus comme tels. Il y a des Chinois qui préfèrent notre approche aux modèles anglo-saxons ; il ne faut pas les décevoir. Les industriels du secteur que nous avons rencontrés là-bas nous ont dit qu’ils s’en sortaient plutôt bien. La FHP (Fédération de l’hospitalisation privée) a sa carte à jouer, sur le modèle des jumelages hospitaliers des hôpitaux publics qui existent depuis plusieurs dizaines d’années et qui font notre fierté.
De quelle façon les CHU peuvent-ils participer à la réforme du système hospitalier chinois ?
Lorsque nous nous sommes rencontrés en mai, mon homologue chinois Chen Zhu m’a dit vouloir expérimenter sa réforme hospitalière dans seize villes pilotes avant de la généraliser. Il a proposé aux CHU français d’être les partenaires de ces seize villes chinoises « de taille moyenne ». Le projet n’est pas encore finalisé, mais si le ministre en a parlé, c’est du sérieux. Nous devons être au rendez-vous de cette demande. Nous réfléchissons actuellement, avec l’ambassade de France à Pékin, pour voir comment y répondre au mieux. Il faut bien voir que c’est très lourd. Une ville moyenne chinoise, c’est plusieurs millions d’habitants, et donc plusieurs très gros hôpitaux. Cela me rappelle une anecdote : il y a quelques années, une délégation chinoise est venue visiter le SAMU du CHU d’Angers. Quand je leur ai demandé pourquoi Angers, ils m’ont répondu : « Parce que votre ville, comme la nôtre, est de taille moyenne ». Sauf que leur ville comptait 7 millions d’habitants ! Notre idée serait de lister des thématiques sur lesquelles nous avons une expertise : la mobilisation des nouvelles technologies pour la santé, la sécurité des soins, la lutte contre les infections nosocomiales, etc. Pour chacune de ces thématiques, la France proposerait un CHU qui serait le partenaire d’une ville chinoise. C’est l’idée de départ. Un séminaire sera organisé en début d’année à Pékin pour voir comment la France peut s’impliquer. Chen Zhu nous a dit vouloir faire son big bang hospitalier. Qu’il nous ait fait cette demande montre la confiance qu’il nous porte. Sa francophilie, il faut le reconnaître, est pour nous un élément extraordinaire. Il faut saisir la balle au bond. Nous impulserons une coopération francochinoise d’une ampleur jamais égalée.
Est-ce que la France pourrait, par certains aspects, s’inspirer du système de santé chinois ?
Notre système est un modèle pour bien des pays. Nous avons une protection universelle d’assurance-maladie, un système hospitalier performant et une médecine de proximité de toute première qualité. Nous intéressons les Chinois sans doute aussi parce que nous avons réussi une synthèse entre public et privé pour le financement comme pour l’offre de soins assez originale dans laquelle ils se retrouvent. De notre côté, il y a quelque chose dont nous pourrions nous inspirer des Chinois : leur esprit d’ouverture sur le monde extérieur. Notre système de santé donne parfois l’impression d’être un peu trop tourné sur lui-même. Ne pas être curieux, c’est se priver de certaines opportunités. Il existe des pionniers français en Chine, comme Pierre Carli pour la médecine d’urgence, mais globalement, nous ne faisons pas assez preuve de curiosité vis-à-vis de ce qui marche ailleurs. Cela devrait nous inspirer.
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