Après une longue période totalement dépourvue de médicaments pour aider à traiter les états d’obésité – et quelques catastrophes cuisantes –, les progrès sont aujourd’hui spectaculaires puisque nous disposons de multiples molécules et d’un réservoir de développement très riche.
Les agonistes des récepteurs du GLP-1 (arGLP-1) utilisés pour traiter le diabète de type 2 (DT2) ont ouvert le bal, souvent reformulés dans un dosage supérieur dans un objectif pondéral : le liraglutide, passé de 1,8 (Victoza) à 3 mg/j (Saxenda), le sémaglutide de 1 (Ozempic) à 2,4 mg/semaine (Wegovy) et le dulaglutide (Trulicity) de 0,75 à 1,5 mg/semaine.
Les pertes de poids atteignent en moyenne 9,2 % sous Ozempic (un tiers sont supérieures à 10 % et 14 % supérieures à 15 %). Elles sont encore plus élevées sous Wegovy, de l’ordre de 16 %, avec plateau maintenu durant quatre ans si le traitement est poursuivi. De plus, le sémaglutide 2,4 mg/semaine vient de prouver sa sécurité cardiovasculaire, et même une réduction de 20 % du Mace trois points à trois ans (essai Select).
Une offre pléthorique
« L’univers des incrétines est en expansion fulgurante », écrivaient récemment deux de ses pionniers, DJ Drucker et JJ Holst. En affichant au moins 20 % de perte de poids, le tirzépatide (Mounjaro), double agoniste GIP-GLP-1 injectable hebdomadaire, vient surpasser les effets pondéraux de tous les arGLP-1. D’autres bi-agonistes, GLP1-glucagon (cotadutide), ainsi que des triples agonistes GIP-GLP1-glucagon (rétatrutide), sont annoncés. Au-delà du poids, ils pourraient agir sur d’autres cibles que les seuls arGLP-1, telles que le foie, le rein, etc.
Des formes orales sont aussi développées : le sémaglutide 50 mg/j (essai Oasis 1), et des petites molécules non peptidiques aux effets agonistes des récepteurs aux GLP-1 – le danuglipron et l’orforglipron.
Et l’amyline fait son retour, cette fois sous une forme hebdomadaire, le cagrilintide.
Nombreuses voies de développement
Les autres voies thérapeutiques ne sont pas en reste, telle le setmélanotide, une molécule ciblant la pro-opiomélanocortine (POMC), seule capable de traiter des formes génétiques d’obésités sévères ou des déficits en leptine. Le bimagrumab, un anticorps monoclonal humain liant le récepteur de l’activine II, pourrait aussi permettre une forte perte de masse grasse (plus de 25 %), sans perte de masse maigre.
On ne peut que se réjouir de ces immenses progrès, aux bénéfices multiples et démontrés : qualité et espérance de vie, autonomie, mobilité, diminution du risque cardiovasculaire, embolique, des apnées du sommeil, du diabète, voire de certains cancers. Tous ces bénéfices (dont la mortalité totale et certains cancers) existent aussi avec la chirurgie bariatrique, mais les indications de cette dernière méritent d’être reconsidérées avec la venue de ces puissants médicaments.
Réponse et durabilité au cœur des interrogations
Mais la chirurgie, malgré ses limites et effets indésirables, n’offre-t-elle pas, si elle est bien encadrée, une réponse plus durable que ces molécules ?
Il faut d’abord rappeler qu’il existe des patients qui répondent faiblement aux arGLP-1, et aux pluri-agonistes. Sous Saxenda, un tiers des sujets en obésité ont perdu moins de 5 % de leur poids à trois mois, ce qui annonce une très faible perte de poids à un an (sous-analyse des études Scale). Cela nous ramène aux stopping-rules : il faut interrompre un traitement qui ne fonctionne pas – mais cette règle est peu respectée en pratique.
Ensuite, avec toutes ces molécules, on observe un plateau de réponse stable après six mois d’administration (et pendant un à quatre ans), qui demeure mal expliqué. Pourquoi cesse-t-on alors de perdre du poids ? Est-ce une adaptation, une défense de l’organisme de son « point d’indice » personnel lorsqu’il « perçoit » qu’il s’approche d’un certain niveau pondéral ? Des stratégies d’associations thérapeutiques, comme avec la phentermine, seraient-elles alors indiquées ?
Pour finir, et c’est crucial : à l’arrêt de ces traitements, le poids initial est quasi entièrement repris au bout de six à douze mois. Faudra-t-il que les patients en situation d’obésité poursuivent à vie ces traitements, y compris pour ceux ayant commencé jeunes ?
Les effets cardiovasculaires n’apparaissent qu’après deux à trois ans… mais dans la vraie vie, le traitement est rarement maintenu plus de six mois
Des prescriptions exponentielles
On peut aussi redouter une utilisation massive de ces molécules, comme aux États-Unis ou en Europe, où l’on déplore des prescriptions inappropriées, à des sujets en faible surpoids, ou à visée cosmétique, avec un phénomène de mode mondial sur les réseaux sociaux, soutenu par les influenceuses et les ventes en ligne.
Cela cause des ruptures d’approvisionnement, qui affectent directement les personnes qui en ont vraiment besoin, qu’elles soient atteintes de DT2 et/ou d’obésité sévère, mais c’est d’autant plus préoccupant que les effets indésirables des arGLP-1 et pluri-agonistes sont loin d’être rares. On relève des nausées, diarrhées, arrêts de traitement dans 10 % à 20 % des cas, et des effets plus sérieux, comme des reflux gastriques graves, des altérations sévères de la vidange gastrique – surtout en cas de troubles préexistants –, des risques en cas d’anesthésie générale, iléus digestif, complications biliaires, pancréatiques, etc., sans compter les conséquences insoupçonnées à ce jour.
Avec la multiplication des indications légitimes, ajoutées aux nombreux mésusages hors de tout avis médical, ces effets pourraient finir par concerner un grand nombre de personnes. Et que dire du coût pour les systèmes de santé ou les particuliers ?
Est-ce une solution réaliste ?
Dernier élément, à ne pas négliger, les résultats des essais cliniques très encadrés ne sont pas nécessairement transposables à la vraie vie. Une étude récente montre qu’après deux mois de traitement par liraglutide 3 mg/j (Saxenda), la moitié des sujets avaient interrompu le traitement et seuls 10 % le poursuivaient à six mois ! Rappelons que les effets cardiovasculaires favorables des arGLP-1 n’apparaissent qu’à partir d’au moins deux à trois ans d’utilisation !
Au total, si ces médicaments sont mis entre des mains peu compétentes, que les prescriptions sont paresseuses et non encadrées, l’addition risque d’être salée. Or, la formation médicale fait clairement défaut pour prendre en charge des sujets en obésité : ignorance de leurs spécificités, incompétence dans l’examen clinique, nombreux a priori, pas de matériel médical adapté.
Donc, si ces recherches sont brillantes, démontrent une puissance d’innovation exceptionnelle et l’immense talent des chimistes, apportent des résultats impressionnants aux retombées financières gigantesques pour les groupes pharmaceutiques, ne devrions-nous pas, nous, médecins, lors de nos enseignements, boards, conférences, mises au point, rappeler, quant à la réelle place de ces avancées spectaculaires, ces quelques « vérités » ? Par rigueur, en cohérence avec les valeurs de nos métiers.
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