Le diabète de type 2 (DT2) a une forte hérédité : à titre indicatif, 58 % des patients vus en 2023 dans le service de l’hôpital Cochin ont une histoire familiale au premier degré. La prédiction, ou du moins l’affinement de l’évaluation du risque de diabète sur des critères précoces, antérieurs à tout désordre métabolique, a un intérêt majeur pour la médecine personnalisée, ainsi que pour la santé publique.
Les premiers travaux de recherche de polymorphisme génomique associé au DT2 remontent à 1981. Il s’agissait d’une étude du gène de l’insuline, peu de temps après sa localisation sur le chromosome 11. Ce travail a été suivi par de nombreux autres ; plus de 11 000 sont recensés sur PubMed, de sorte que le diabète, qui avait été qualifié de « cauchemar du généticien » en 1976, méritait encore ce qualificatif en 2016 (Rich, 2016). Ce commentaire venait en analyse critique d’un travail majeur de séquençage de l’exome de 6 400 patients diabétiques et du séquençage du génome entier de plus de 1 500 autres : ces travaux de grande ampleur ne permettent pas de dégager de conclusion évidente.
Ainsi, si l’on s’interroge aujourd’hui sur la possibilité de prédire le DT2 par la génétique, un éditorial paru il y a plus de dix ans (Lyssenko & Laakso, 2013) posait la même question, et le sujet n’a pas vraiment avancé depuis. Les généticiens ne lésinent pourtant pas sur les moyens : la dernière étude, parue en février 2024, portait sur 2,5 millions de personnes et plus de 400 000 diabétiques. Elle a identifié 611 loci associés au DT2, mais pour quel usage ?
Pas mieux que les facteurs bien connus
Deux études datant de plus de quinze ans avaient montré que le fait d’ajouter un score génétique (constitué à partir de polymorphismes associés au DT2 sur respectivement 15 et 18 loci) aux critères cliniques et biologiques simples comme l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC), le tour de taille, l’histoire familiale et l’HbA1c ou la glycémie à jeun ne contribuait que de manière tout à fait marginale à l’évaluation du risque de diabète.
Un travail prospectif récent, auprès de 450 000 personnes dont plus de 12 000 ont développé un diabète pendant le suivi, a permis de dégager dix facteurs hautement prédictifs de diabète ; par ordre d’importance : HbA1c, IMC, tour de taille, glycémie, histoire familiale de diabète, gamma-GT, rapport tour de taille/hanche, HDL-cholestérol, âge et uricémie. En somme, des facteurs de risque bien connus et des marqueurs biologiques pertinents, en particulier l’HbA1c! Cette combinaison a un fort pouvoir prédictif, avec une valeur de 0,9 pour l’aire sous la courbe ROC (Lugner et al., 2024).
Face à une telle puissance prédictive de critères clinicobiologiques simples, il reste peu de place à l’analyse génétique pour affiner la prédiction. En d’autres termes : ces critères simples sont suffisants pour prédire le diabète ; on n’a pas besoin d’y ajouter des données génétiques. Mais gardons à l’esprit que les dés sont pipés, car prendre en compte l’HbA1c, c’est déjà s’intéresser à des sujets qu’on ne peut pas qualifier d’indemnes de tout désordre métabolique.
Une définition pas si simple
Si l’intérêt des travaux de génétique n’apparaît pas aujourd’hui évident en pratique, il n’en est pas moins majeur pour mieux comprendre la physiopathologie, générer des hypothèses pour des cibles thérapeutiques, etc. Mais l’analyse reste difficile, malgré un nombre impressionnant de sujets étudiés par les techniques performantes d’analyse du génome.
Comment peut-on comprendre ces difficultés ? Soulevons deux questions principales : pour une bonne analyse génétique, il est souhaitable de s’intéresser à une maladie unique bien définie, et d’avoir un bon critère – ou ensemble de critères – pour séparer sans ambiguïté les malades des témoins. Aucun de ces prérequis n’est parfaitement traité dans les études de génétique du DT2. Il n’y a pas de critère séparant les malades des témoins sans équivoque, pas de critère positif pour définir une entité unique appelée DT2.
En premier lieu, l’HbA1c, qui est le déterminant le plus fort du risque de DT2, est souvent utilisé dans les études génétiques pour séparer malades et témoins. Selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, une HbA1c ≥ 6,5 % (4,8 mmol/mol) définit le diabète, tandis que des valeurs entre 6 et 6,4 % définissent l’intolérance au glucose et font indiquer des modifications thérapeutiques du mode de vie. La valeur normale retenue est < 5,7 %.
L’American Diabetes Association (ADA) considère de son côté que l’intolérance au glucose concerne les personnes dont l’HbA1c est entre 5,7 et 6,4 %.
Ainsi, choisir un seuil d’HbA1c < 6,5 % comme critère d’inclusion dans une étude prospective visant à définir les facteurs associés à la survenue d’un diabète, ou de séparation des « malades » et des « témoins » d’une étude génétique, revient à inclure dans le groupe témoin nombre de sujets qu’on ne peut déjà plus classer comme normaux, ceux dont l’HbA1c est entre 5,7 et 6,4 %.
En France, dans l’étude déjà ancienne des Télécoms, sur plus de 3 000 sujets, une HbA1c ≥ 5,7 % correspondait au 90e percentile de la population adulte, indiquant que près de 10 % de cette population se trouve dans la « zone grise ».
10 %
de la population adulte se trouve dans la « zone grise » du prédiabète
L’âge des malades et des témoins pose également difficulté. Au Danemark, en 2015, l’incidence de diabète de type 2 chez les hommes était de 1,5 ‰ patients-années à 40 ans et 10 ‰ à 80 ans ; à tous les âges entre 50 et 90 ans, l’incidence était plus de deux fois supérieure à celle des sujets de 40 ans. Aux États-Unis, sur la période 2011-2018, l’âge moyen au diagnostic de diabète était de 50 ans ; en Allemagne, selon l’institut Robert-Koch, l’âge moyen au diagnostic est de 53 ans (55 chez les femmes, 53 chez les hommes). Ainsi, inclure dans le groupe « diabète » des sujets d’âge inférieur à 50 ans revient à s’intéresser à des sujets appartenant à un groupe à faible incidence de diabète, et présentant donc une forme particulière de diabète ; à l’inverse, inclure des sujets de moins de 80 ans dans le groupe « contrôle » conduit à prendre comme témoin négatif des patients dont le risque de diabète n’est pas nul.
Démembrer les diabètes
Le DT2 est une maladie hétérogène qui n’a pas de définition positive, ce qui complique la recherche des marqueurs génétiques.
Le Pr Leif Groop a proposé une subdivision des diabètes de l’adulte en cinq endotypes, première tentative pour mieux définir le DT2. Cette classification est fondée sur quelques paramètres : la sévérité de l’hyperglycémie, le degré de surpoids et le degré de résistance à l’action de l’insuline. Mais on restreint ainsi trois variables continues en cinq catégories arrêtées, ce qui est bien réducteur.
La classification du Pr Groop part du postulat qu’il y a quatre types de diabète chez l’adulte : 1,5 % de type 1 (DT1) ; 5,3 % de « Lada » ; 1,2 % de diabètes par maladie du pancréas (pancréatite chronique, adénocarcinome), le reste appartenant donc au groupe « DT2 ». Dans ce travail, seuls 3,8 % des patients ne pouvaient pas être classés dans l’un de ces quatre groupes. Or, sur plus de 12 000 patients ayant été vus à l’hôpital Cochin, 12 % n’appartiennent pas à l’un de ces quatre groupes : ils ont un autre type de diabète ou sont inclassables.
Pour illustrer cette difficulté à classer les diabètes de l’adulte, 20 % des patients que nous classons comme ayant un DT2 lors d’un passage dans notre service sont considérés comme ayant un autre type de diabète lors d’une hospitalisation ultérieure dans un autre service (données du PMSI national sur 2022, courtoisie du Dr S. Bouam).
20 % des patients que nous classons comme DT2 dans notre service sont considérés ultérieurement comme ayant un autre type de diabète
Questions de poids
Ainsi, le DT2 apparaît comme une maladie pas si simple à classer. Le critère principal pour classer un diabète comme « de type 2 » est l’IMC : 80 % des DT2 ont un IMC ≥ 25 kg/m². Cependant, l’IMC au diagnostic de DT2 a une corrélation inverse avec l’âge au diagnostic. Il est probable qu’un adolescent qui développe un « DT2 » avec un IMC > 40 n’a pas la même maladie qu’une personne qui développe un DT2 à l’âge de 80 ans avec un IMC < 25.
De plus, les données épidémiologiques récentes indiquent qu’un faible poids de naissance est associé à un âge au diagnostic inférieur, à un IMC au diagnostic plus bas que le poids de naissance normal, suggérant, indépendamment d’événements catastrophiques comme des famines, qu’il y a des déterminants du diabète qui sont liés à la vie fœtale, et possiblement indépendants de la génétique.
Enfin, les populations ne sont pas égales en termes d’IMC associé au DT2 : il a récemment été montré, au Royaume-Uni, que le risque de diabète associé à un IMC de 30 chez les Caucasiens apparaît dès 24 chez les sujets originaires d’Asie du sud, 27 chez ceux originaires de Chine et proche de 28 chez les sujets d’origine africaine : ces seuils devraient être utilisés pour définir l’obésité dans ces populations.
On devrait définir l’obésité selon les origines
Si on a souvent réduit l’héritabilité à la génétique, on y associe maintenant la méthylomique, c’est-à-dire l’analyse de caractères acquis et transmissibles du génome, qui n’impliquent pas de modification de l’ADN lui-même. Mais une autre question n’est pas bien résolue : qu’est-ce qui, dans l’héritabilité du DT2, tient à la génétique, et qu’est-ce qui tient à l’héritabilité non génétique : modes alimentaires, sédentarité, et autres comportements à forte composante familiale ?
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