« Aujourd’hui, on sait que 80 % des fumeurs commencent avant l’âge de 18 ans. Une personne qui, à 25 ans, n’a jamais fumé ne le fera probablement jamais. Initier les jeunes à la cigarette est donc un enjeu crucial. Plus un adolescent commence tôt, plus il va devenir un consommateur régulier et, en général, fidèle à une marque », explique Pascal A. Diethelm, président de l’association suisse Oxyromandie et vice-président de l’association Comité national de lutte contre le tabagisme (CNCT) en France.
Ce militant associatif, qui a travaillé durant 30 ans à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a longuement étudié la stratégie des cigarettiers vis-à-vis des adolescents. « Les firmes ont impérativement besoin de recruter des fumeurs chez les jeunes pour fidéliser une nouvelle clientèle et remplacer tous les fumeurs qu’elles perdent chaque année à cause du tabac », indique Pascal Diethelm. Pour appuyer son propos, il dispose de nombreuses notes internes de l’industrie du tabac, ayant été rendues publiques aux États-Unis. « L’adolescent d’aujourd’hui est notre client potentiel régulier de demain, et l’écrasante majorité des fumeurs commence à fumer alors qu’ils n’ont pas encore 20 ans », indique ainsi une grande multinationale dans un mémo de 1991. Autre note, tout aussi édifiante, celle d’une deuxième grande firme en 1984. « Les adultes les plus jeunes sont la seule source de remplacement des fumeurs. […] Si les adultes les plus jeunes se détournent du tabac, cela aura inévitablement pour conséquence le déclin de l'industrie, de la même façon qu'une population sans naissances est condamnée à décroître ».
Mais de manière habile, les firmes ne vont jamais cibler directement les jeunes. En effet, elles savent que faire une campagne pour inciter des ados à fumer ne serait pas moralement et socialement acceptable. « Mais cela serait aussi contre-productif », indique Pascal Diethelm. Les cigarettiers préfèrent donc faire des campagnes sur les 18-24 ans, une génération qui fait souvent office de modèle pour des ados en quête d’émancipation. « Communiquer en disant que fumer est un comportement d’adultes est le meilleur moyen d’attirer les jeunes qui sont souvent dans une volonté de transgression. Et le caractère dangereux de la cigarette renforce cette envie de transgression en en faisant une sorte de rituel, de passage à l’état adulte », indique Pascal Diethelm.
Pour séduire les ados, les cigarettiers misent notamment sur le cinéma. La publication de leurs archives a permis de découvrir que depuis longtemps, les industriels paient des réalisateurs, des producteurs ou des acteurs pour qu’ils fument leurs cigarettes à l’écran. « Cela peut être un outil de promotion de la marque. Mais ce qui compte surtout, c’est surtout diffuser l’idée que fumer est valorisant. Et montrer des cigarettes dans la bouche de personnages rebelles, contestant l’ordre établi, est un excellent moyen de diffuser une image attractive auprès des adolescents », indique Pascal Diethelm.
Sinon, les firmes font aussi régulièrement des campagnes de prévention du tabagisme chez les jeunes. « Ces campagnes mettent souvent en scène des ados qui ne fument pas. Mais il s’agit de jeunes présentés comme timides, mal dans leur peau, conformistes, aimant la norme et toujours prudents. Ce qui est un moyen déguisé de valoriser le tabac », souligne Pascal Diethelm.
D’après un entretien avec Pascal A. Diethelm, président de l’association suisse Oxyromandie et vice-président de l’association Comité national de lutte contre le tabagisme (CNCT) en France.
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