LE RÔLE d’un bon état nutritionnel péri-opératoire sur le devenir postchirurgical est connu depuis longtemps : une étude parue en 1936 dans le « JAMA » soulignait déjà que la mortalité après gastrectomie était significativement augmentée chez les patients dénutris. Les conséquences d’un acte chirurgical sont toujours beaucoup plus lourdes chez un malade dénutri, avec une mortalité plus élevée, des complications infectieuses plus nombreuses, des retards à la cicatrisation, une augmentation de la durée de séjour et des coûts de la prise en charge. La chirurgie digestive est particulièrement concernée en raison de pathologies à haut risque de dénutrition comme le cancer ou les maladies inflammatoires, d’examens requérant fréquemment que le malade soit à jeun et de gestes chirurgicaux souvent lourds comme des résections.
Le rôle du gastroentérologue dans le dépistage.
Qu’il s’agisse des recommandations conjointes de 2010 de la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) et de la SFNEP (Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme) ou des recommandations de 2005 de la SFCD (Société Française de Chirurgie Digestive), toutes insistent sur l’importance d’évaluer l’état nutritionnel avant même d’adresser le patient en chirurgie pour améliorer le pronostic et les suites opératoires.
Il faut rechercher les facteurs de risque liés au patient, essentiellement l’âge et les comorbidités, et ceux liés au traitement (chimiothérapie, radiothérapie, corticothérapie, polymédication). Il est indispensable de vérifier le poids, la taille, l’IMC, d’interroger sur une éventuelle perte de poids récente ; le dosage de l’albuminémie se révèle particulièrement intéressant dans ce bilan. Un IMC inférieur à 18,5 kg/m2 chez l’adulte ou à 21 après 70 ans, une perte de poids récente de plus de 10 %, une hypoalbuminémie inférieure à 30 g/l, quel que soit le niveau de la CRP, signent la dénutrition. Elle est considérée comme très sévère si l’IMC est inférieur à 13 kg/m2, l’amaigrissement supérieur à 20 % en 3 mois ou lorsque les apports alimentaires oraux sont négligeables depuis au moins 15 jours. L’autre versant du risque est lié à l’acte chirurgical, souvent élevé en chirurgie digestive où le cancer constitue une grande partie des indications, la chirurgie à faible risque de dénutrition ne concernant que les interventions sur la vésicule biliaire ou les hernies.
Schématiquement, on isole quatre cas de figures selon que le patient est dénutri ou non et que la chirurgie est ou non associée à un risque de dénutrition et de complications. « Il est essentiel que le gastroentérologue s’implique dans l’évaluation de l’état nutritionnel préopératoire et de sa prise en charge au moment où il porte le diagnostic ou pose l’indication opératoire » insiste le Pr Stéphane Schneider.
La place de l’immunonutrition.
Quel que soit l’état nutritionnel préopératoire, en cas de chirurgie digestive à visée oncologique, il est recommandé de prescrire un mélange d’immuno-nutriments de type Impact. Ces suppléments nutritifs hyperprotidiques se composent d’arginine, de glutamine, de micronutriments, d’acides gras insaturés oméga 3 et de nucléotides ; ils sont utilisés non seulement pour leurs propriétés nutritionnelles, mais aussi pour leur rôle dans l’inflammation, l’immunité et la cicatrisation. Ils ne sont pris en charge par l’assurance-maladie que dans la chirurgie carcinologique digestive. On privilégie l’emploi par voie orale, avec pose d’une sonde en cas d’anorexie majeure, et un recours à la voie parentérale si la sonde est mal tolérée.
En l’absence de cancer, on opte pour la renutrition classique, adaptée à la sévérité de la dénutrition : conseils diététiques, compléments nutritionnels plutôt hypercaloriques et hyperprotidiques, en préférant toujours, si elle est possible, la nutrition par voie entérale. La stratégie est identique chez les sujets les plus âgés qui doivent cependant bénéficier d’une surveillance plus rapprochée.
Si la renutrition est instaurée dès l’indication chirurgicale posée par le gastroentérologue, elle ne retarde pas le geste opératoire : cette phase de préparation à la chirurgie peut parfois aller jusqu’à 10 jours si la dénutrition est importante, mais généralement 5 à 7 jours suffisent ; « on sait que même si la prise en charge ne se traduit pas par un gain de poids, l’état fonctionnel est amélioré » explique le Pr Schneider.
Il ne faut pas oublier que les obèses sont aussi à risque de malnutrition, en particulier protidique, et sont plus souvent carencés en minéraux et micronutriments (fer et vitamines du groupe B) que les sujets normopondéraux. Non seulement il ne saurait être question de leur faire perdre du poids avant la chirurgie, mais ils doivent, si besoin, bénéficier de la même prise en charge nutritionnelle, adaptée à leur pathologie et à une éventuelle perte de poids récente.
D’après un entretien avec le Pr Stéphane Schneider, hôpital de l’Archet, Nice.
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