« LES MALADIES inflammatoires chroniques intestinales (MICI), maladie de Crohn et rectocolite hémorragique, font partie des maladies génétiques complexes dont l’étiopathogénie découle de la rencontre entre un environnement et une susceptibilité génétique », explique le Pr Philippe Seksik. En outre, la maladie de Crohn est une maladie polymorphe s’exprimant selon plusieurs phénotypes et, très probablement, plusieurs anomalies pourraient concourir à un même phénotype.
Si les causes des MICI ne sont pas clairement identifiées, en raison de la complexité de cette entité pathologique, de nombreux progrès ont été réalisés dans la compréhension de certains mécanismes, en particulier dans le domaine de la génétique et de la physiologie digestive.
En pratique, les recherches se sont surtout focalisées sur la maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique étant un modèle moins utilisé du fait de la possibilité d’un recours ultime avec la colectomie totale.
Autophagie et stress du réticulum et microflore intestinale.
Les avancées récentes viennent principalement d’une meilleure compréhension de la physiologie digestive. Notamment, grâce à la mise en évidence d’une altération du système cellulaire d’autophagie. Ce dernier est un système biologique d’épuration intracellulaire qui conduit à la dégradation de divers produits, telles que des protéines mal repliées (stress du reticulum endoplasmique), et qui participe ainsi à l’homéostasie cellulaire. Or, les outils moléculaires récents, en particulier le « genome wide scan », ont permis de mettre en évidence, dans les MICI, des anomalies des gènes de régulation de l’autophagie et du stress du réticulum endoplasmique qui lui est lié.
« Deuxième grand domaine de recherche : la microflore intestinale, « véritable boîte noire » car 70 % des bactéries ne sont pas cultivables ce qui rend leur étude très difficile », précise le Pr Seksik. Le tube digestif héberge quelque 1 014 bactéries (de 1 000 espèces différentes environ), soit 10 fois plus que les 1 013 cellules qui composent le corps humain. L’étude de la microflore intestinale a connu un essor récent avec l’avènement de la biologie moléculaire.
La microflore a de nombreux effets physiologiques, qui jouent un rôle important dans la bonne santé de l’hôte : fermentation des substrats au niveau colique, effet de barrière vis-à-vis des micro-organismes pathogènes, développement et maturation du système immunitaire intestinal et interactions avec les cellules épithéliales. Cette microflore est en dialogue permanent avec l’hôte et est donc capable de modifier l’expression de certains facteurs d’hôte.
Deux écoles.
« Les recherches sur le rôle de la flore intestinale dans la physiopathogénie des MICI s’orientent dans deux grandes directions », rapporte le Pr Seksik.
En premier lieu, il s’agit de la mise au jour de « la » bactérie responsable. Plusieurs pistes font l’objet de travaux, notamment certaines souches d’E. coli invasives, telles que les AIEC (adherent-invasive E. coli) ou de Mycobactérium avium paratuberculosis.
D’autre part, des travaux portent sur des anomalies plus globales de l’écosystème, incriminant une flore « mal charpentée ». Le concept se fonde sur la notion de symbiose. Les bactéries trouvent, au niveau du tube digestif, une niche écologique riche : l’organisme fournit les substrats nécessaires à la pérennisation de ce monde bactérien et, en retour, les bactéries protègent l’hôte des pathogènes, tels que Clostridium difficile, participent au développement du système immunitaire et exercent des effets positifs vis-à-vis de la régulation métabolique impliquée, par exemple, dans le diabète et l’obésité.
Des travaux récents ont pu mettre en évidence une « dysbise » (déséquilibre de la microflore). Chez des patients atteints de maladie de Crohn, la perte d’un groupe de bactéries (Clostridium leptum) dont l’une, Faecalibacterium prausnitzii (F. prau), jouerait un rôle majeur dans la lutte contre l’inflammation, a été observée. Ses propriétés anti-inflammatoires découleraient de molécules directement sécrétées par la bactérie. Des études réalisées sur des cellules en culture puis sur un modèle animal de maladie de Crohn ont montré que l’administration de F. prausnitzii ou des molécules qu’elle sécrète réduit l’inflammation intestinale.
«L’objectif est de caractériser les molécules sécrétées par la bactérie afin de développer de nouveaux traitements », précise le Pr Seksik, avant de souligner que, finalement, en matière d’implication de la microflore dans la genèse des MICI, les deux « écoles » sont en train de se rejoindre : la dysbise pourrait favoriser l’implantation d’un « pathogène ».
En France, l’ensemble des chercheurs travaillant sur les MICI s’est constitué en un groupe de travail, « Remind » (pour Recherche sur les Maladies Inflammatoires Digestives), fédéré comme le GETAID (Groupe d’Études Thérapeutiques des Affections Inflammatoires du tube Digestif), qui vise notamment à faciliter les échanges scientifiques ainsi que des travaux collaboratifs. Une étude nationale sur la récidive postopératoire vient d’être lancée et s’attache à explorer, entre autres, l’effet de la dysbise sur la présence des AIEC et son impact sur la réponse immunitaire.
Au total, parallèlement aux progrès réalisés en génétique, avec un grand nombre de mutations de susceptibilité recensées, la meilleure connaissance de l’implication de la microflore intestinale dans la physiopathogénie des MICI pourrait permettre de proposer, à terme, de nouvelles approches thérapeutiques.
D’après un entretien avec le Pr Philippe Seksik, hôpital Saint-Antoine, Paris.
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