SELON DES données de 2004 de l’Institut national de veille sanitaire, 0,68 % de la population française serait atteinte d’hépatite C. Mais 46 % des sujets contaminés par l’hépatite C en France l’ignorent ; un chiffre qui est loin d’être optimal même s’il est inférieur à celui d’autres pays européens comme la Belgique et l’Allemagne où seulement 40 % des patients sont dépistés, et l’Italie et l’Angleterre où cette proportion est encore plus faible (30 %). « Une campagne de sensibilisation doit être mise en place auprès du grand public et des médecins généralistes pour dépister ces patients qui ne se savent pas contaminés. La stratégie devra en être discutée car le dépistage ciblé est pris en défaut, 25 % des patients contaminés ignorant ou ayant oublié qu’ils ont eu des facteurs de risque de contamination » insiste le Pr Philippe Mathurin. Non seulement ces sujets ne bénéficient pas des traitements antiviraux, mais ils ne reçoivent aucune information vis-à-vis des facteurs favorisant la progression de la maladie comme l’alcool par exemple, qui pourtant réduit de 10 ans l’espérance de vie dans l’hépatite C. Diagnostiquer tard, c’est aussi augmenter le risque de complications et réduire la sensibilité au traitement alors que l’on dispose de modalités thérapeutiques plus efficientes pour éradiquer le virus.
Un bouleversement thérapeutique.
La prise en charge vise la guérison de la maladie avec l’éradication virale qui permet de réduire la mortalité en prévenant le développement de la cirrhose et de ses complications. Entre 1989, date de la première publication sur l’interféron, et les années 2002 avec l’avènement de la bithérapie pégylée, le taux d’éradication du virus est passé chez les patients de génotype 1 de 5 à 45 % ; les études de phase III menées avec deux antiprotéases, le telaprévir et le bocéprévir, montrent en effet un pourcentage de guérison de 70 %, ce qui a amené la France à les proposer en ATU pour les patients au stade de cirrhose n’ayant pas répondu à la bithérapie. Le bénéfice thérapeutique incontestable de la trithérapie avec les antiprotéases (augmentation relative de 50 % par rapport à la bithérapie) se trouve renforcé par les progrès réalisés au cours des vingt dernières années dans la compréhension de la virologie, des facteurs impliqués dans l’histoire naturelle, la gestion des effets secondaires du traitement. De plus, grâce à la possibilité d’explorer la fibrose de façon non invasive, il n’y a pratiquement plus de patients dépistés qui hésitent à consulter un spécialiste, ou n’y sont pas encouragés par leur médecin.
Pour un traitement à large échelle.
Il n’est pas possible, dans l’hépatite C, de ne traiter que les patients à risque, car si on connaît bien les facteurs prédictifs de mortalité au niveau de la population, la prédiction de la morbimortalité au niveau individuel n’est pas fiable. « Aussi la stratégie qui semble la plus optimale pour réduire la mortalité est de traiter à large échelle par la bi- puis bientôt la trithérapie » conclut l’hépatologue. « La modélisation mathématique a permis de montrer que, en France, le traitement de l’hépatite C, y compris des formes mineures, par bithérapie pégylée a réduit la mortalité de 24 % avec la prévention de 14 000 décès tous phénotypes confondus, un bénéfice bien supérieur par rapport aux pays dépistant moins activement ou ne traitant que les formes sévères. Les modèles prédictifs de mortalité indiquent aussi que les antiprotéases devraient permettre de la réduire de 15 % supplémentaires. Cet impact de mortalité des antiprotéases est plus important si on n’analyse que les malades ayant le génotype 1 car les antiprotéases ne sont pas efficaces sur les autres génotypes. En résumé, la probable AMM qui devrait être accordée à ces antiprotéases constituera une opportunité majeure pour réduire dans les vingt prochaines années la mortalité liée à l’infection virale C », explique le Pr Mathurin.
En ce qui concerne la cirrhose, ces quinze dernières années ont prouvé que l’éradication du virus fait régresser la fibrose y compris au stade de cirrhose chez certains patients, d’où vraisemblablement un risque faible de développer un cancer. « Dans notre modélisation, la bithérapie diminuerait le nombre de cirrhoses de 25 000 à 35 000 cas, et la trithérapie de 30 % supplémentaires » poursuit le Pr Mathurin. « Mais la réduction de la morbimortalité escomptée avec les antiprotéases ne prendra toute son ampleur que si on relance la politique de dépistage et qu’on traite massivement tous les patients, à l’exception probablement des formes mineures des patients âgés ». En ce qui concerne la contamination, elle a été diminuée de plus de 95 % par les mesures préventives en milieu médical ; logiquement, augmenter la suppression virale chez les toxicomanes devrait réduire encore la contamination, ce qui a été prouvé pour le VIH, bien qu’on ne dispose pas de données pour le virus de l’hépatite C.
D’après un entretien avec le Pr Philippe Mathurin, CHU de Lille.
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