L’immortalité des cellules cancéreuses

Un mythe en péril

Publié le 28/01/2011
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L’HISTOIRE MEDICALE récente a montré la curabilité de certains cancers par des cytotoxiques classiques ou des thérapeutiques ciblées, prouvant ainsi que le concept d’une cellule tumorale immortelle était erroné. Plus récemment, un virage a été amorcé dans le cancer du poumon. La médiane de survie, qui n’était que de 8 à 10 mois au début des années 2000 avec les chimiothérapies classiques, est passée à 12 mois avec le bévacizumab, un antiangiogénique, chez les patients ayant un adénocarcinome sans comorbidité cardiovasculaire, et à 27 mois chez les 12 à 15 % de patients ayant un adénocarcinome et une mutation de l’EGFR (majoritairement des non-fumeurs ou des ex-fumeurs sevrés depuis plusieurs années), avec les traitements ciblés inhibiteurs de l’EGFR. « Plus récemment, les adénocarcinomes bronchiques avec une inversion du chromosome 2p et un gène de fusion ALK-EML4, soit 5 % des tumeurs bronchiques dans la population caucasienne, ont bénéficié de réponses et survies prolongées avec le crizotinib, un inhibiteur du récepteur tyrosine kinase c-MET, qui s’est aussi révélé efficace sur la kinase ALK activée par cette fusion. On s’attend d’ailleurs à ce que cette molécule obtienne très rapidement une autorisation de mise sur le marché, tant les réponses obtenues ont été spectaculaires » précise le Pr Zalcman.

L’identification des anomalies moléculaires en cause est un enjeu majeur.

La tumeur cancéreuse, faite de multiples clones, finit souvent par résister aux chimiothérapies classiques, par la sélection de clones cellulaires résistants. L’enjeu est donc d’identifier une anomalie moléculaire sans laquelle la cellule cancéreuse ne peut survivre (on parle de mutation « addictive »). La conception de molécules ciblant spécifiquement l’oncoprotéine mutée qui rend la cellule résistante à l’apoptose a permis de changer l’histoire naturelle de sous groupes de CBNPC. « Chaque cancer peut être dépendant d’une anomalie moléculaire donnée. On estime ainsi qu’il y aurait une douzaine d’anomalies moléculaires différentes pouvant rendre compte de la résistance à l’apoptose de l’ensemble des cancers bronchiques » poursuit le Pr Zalcman.

Pour l’instant, l’identification de ces anomalies représente l’étape la plus importante. En revanche, identifier des molécules inhibant spécifiquement ces oncoprotéines mutées ainsi détectées, est facilité par les progrès de la modélisation moléculaire informatique. La mise en évidence d’autres mécanismes adaptatifs de la cellule tumorale, telle l’autophagie, laisse aussi entrevoir de nouvelles voies thérapeutiques proapoptotiques.

Empêcher l’émergence d’un clone résistant.

Le caractère oligoclonal de la tumeur doit être pris en compte. Lorsqu’on tue le clone prédominant en ciblant l’anomalie moléculaire dont il est dépendant, on favorise l’émergence d’autres clones initialement minoritaires, résistants à ce produit. Cela se traduit concrètement par une récidive, quelques années plus tard, d’une tumeur désormais constituée par un autre clone de cellules tumorales. « C’est tout l’intérêt des molécules de deuxième génération en cours de développement et qui sont capables d’inhiber ces clones de résistance. Dans la prochaine décennie, il est probable que le traitement des cancers bronchiques, fasse appel à un cocktail de plusieurs molécules ciblant la mutation princeps et les mutations de résistance de façon à éviter d’emblée l’émergence de clones résistants, un peu comme les antibiotiques que l’on associe dans la tuberculose ou les trithérapies anti-VIH, permettant de réduire d’emblée le risque d’émergence de résistance secondaire » conclut le Pr Zalcman.

D’après un entretien avec le Pr Gérard Zalcman, CHU de Caen.

Dr NATHALIE SZAPIRO

Source : Le Quotidien du Médecin: 8895